Idées de débats

La faim dans le monde ?

Ticket d'entrée à la conférence de Marc Dufumier au CGR de Niort

Ticket d’entrée à la conférence de Marc Dufumier au CGR de Niort

Pourquoi dans certaines parties du globe les gens souffrent-ils de la faim ? Paraît-il que c’est surtout le cas en Afrique centrale, en Afghanistan, en Mongolie, en Bolivie, au Pérou, à Haïti, au Nicaragua, au Guatemala. Cette question m’a déjà effleuré l’esprit quelques fois, mais n’ayant pas les moyens de sauver le monde, je n’ai pas recherché plus que ça la réponse. En plus, ça m’avait l’air d’être une fatalité. Et puis, un jour, plus précisément le 24 septembre, la réponse vint, toute seule. Mes rabatteurs m’avaient indiqué l’intervention d’un certain Marc Dufumier, chercheur agronome. La chose avait lieu au sympathique CGR à Niort, place de la Brèche. Ce que je ne savais pas c’est que c’était organisé par l’Université inter-âge. J’aime les mots, j’aime savoir d’où ils viennent et pourquoi. Aussi, une fois sur place, je me suis vite posé la question si le public allait lui-aussi être inter-âge (différentes tranches d’âge représentées, comme l’indiquerait le nom de l’organisateur). Je me pointe à l’entrée de la salle, c’est noir de monde, mais je ne vois pas de jeunes. Sauf la classe du lycée agricole de Melle, mais eux, ils ne sont pas là de leur propre chef (supposé-je). Deux dames d’un certain âge tiennent la caisse, me demandent si je suis étudiant, hélas non, je réponds. Chômeur. Alors c’est moitié prix, voilà jeune homme, souhaitez-vous adhérer peut-être, a gentiment demandé l’une des dames. Je me suis sondé un instant, mais ne trouvant pas de réponse immédiatement, j’ai salué les dames avec un sourire sincère et je me suis laissé entraîner par la foule septuagénaire. L’espoir de voir des jeunes adultes assister à la conférence m’a abandonné complètement quand j’en ai vu quelques-uns se joindre instant à notre cortège avant de poursuivre vers la salle avec le dernier épisode de Mission impossible. Là où j’allais c’était un peu ça aussi.

Compte-rendu

Pourquoi donc il y a dans le monde des gens qui souffrent de la faim ? Le titre de la conférence annonce l’objectif : Quelle agriculture pour nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière? Pour aller au vif du sujet, il y a de la faim dans le monde parce que le Nord réussit à écouler de la merde subventionnée et donc pas chère aux gens du Sud. Les agriculteurs du Sud ne soutiennent pas la concurrence avec l’agriculture occidentale très productive et largement subventionnée. Avec leurs fermes familiales où le travail se fait manuellement, les agriculteurs du Sud ne peuvent ni produire de la nourriture ni en acheter. Cette situation les pousse à s’entasser ensuite dans des bidon-villes où ils ne trouvent guère plus de travail.

Quels sont en gros ces deux modèles agricoles, celui du Nord-Occident et celui du Sud ? Le Sud procède très souvent de deux manières : c’est d’abord la culture en abattis-brûlis. Il consiste à brûler de la forêt dense et cultiver sur le sol fertilisé par les cendres. Un très bon rendement est assuré la première année, mais après, à cause de l’érosion, ce même rendement descend bien en-dessous d’une tonne à l’hectare et là commencent à apparaître les mauvaises herbes. Comme ils ne peuvent pas désherber, les agriculteurs défrichent un autre bout de la forêt. Pour pouvoir retravailler la terre, il faut la laisser en jachère pendant au moins 18 ans. Un autre mode c’est le système intensif en travail manuel. Là aussi on dégrade de la forêt dense, mais on s’attaque aux mauvaises herbes. Ce travail est fait manuellement, très souvent par les enfants, qu’on n’envoie pas à l’école, sinon la famille mourrait de faim. Dufumier a dit qu’ainsi à Haïti il n’y a plus de forêts. Il a donné aussi l’exemple d’un producteur de riz installé sur les bords de la Casamance au Sénégal. Sa production annuelle s’élève à 200 kg de riz décortiqué par an et par personne. Ce qui correspond à peu près à 500 gr de riz par jour. Le problème c’est que pour pouvoir acheter des produits de première nécessité, l’agriculteur doit vendre une bonne partie de sa récolte. Et là, son riz se retrouve en concurrence avec celui de l’Arkansas.

Passons maintenant en revue le système occidental. Le symbole proposé par l’agronome c’est une charrue deux fois douze socs réversibles. C’est la modernité. C’est l’agriculture mécanisée et spécialisée dans un produit pour produire à moindre coût et à très grande échelle. Une comparaison permet de se rendre compte de la différence entre les deux mondes : pour un même sac de riz, il faudra dans le Sud 200 fois plus de travail. Ce sont ensuite des fermes très gourmandes en espace, où l’on supprime les clôtures naturelles – les haies – ce qui provoque l’érosion des sols. C’est aussi une agriculture capable de produire plus d’une tonne à l’hectare grâce à ce qu’on appelle les plantes à haut potentiel génétique de rendement (ou potentiel photosynthétique élevé). Ces plantes sont des variétés issues de la recherche génétique et conçues pour diffuser partout et remplacer les variétés locales. Mais comme elle ne sont plus adaptées à un environnement local particulier, à des prédateurs locaux particuliers, il faut nécessairement recourir aux herbicides, pesticides, et fongicides. Et puis à la fin, ces produits standardisés sont très gourmands en engrais, par exemple en phosphate. Ce dernier est récupéré dans des mines dont l’exploitation est très coûteuse, et selon les estimations, il en reste encore seulement pour trois ou quatre décennies. En revanche, la production des engrais de synthèse est elle très consommatrice de matières fossiles. Le boucle est bouclée. Et que fait-on des invendus dans ce modèle ? Une bonne partie de la nourriture ainsi produite est tout simplement jetée à la poubelle car elle n’apporte pas de bénéfice. Jusqu’à 10 cal végétales vont aux cochons, c’est le soja brésilien qui nourrit les cochons français. C’est de la nourriture qui échappe aux pauvres. Et ce qui reste est transformé en biocarburants pour les avions et les voitures.

Une agroécologie post-moderne

La correction automatique de mon éditeur de texte ne reconnaît pas ce terme, alors je rapporte la définition donnée par Marc Dufumier. L’agroécologie est la réponse pour nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière. Comment ? En augmentant la productivité des fermes familiales du Sud, cela va de soi. Il faudra augmenter le nombre des fermes et diminuer leurs surfaces dans le Nord. L’agronome préconise de faire le plus grand usage possible de l’énergie solaire : que plus un seul rayon de soleil ne tombe à terre – dit-il. En plus, l’énergie solaire est estimé à 1,5 milliards d’années. Il faudra donc, dans ces fermes, assurer la couverture végétale maximale et permanente du sol. C’est pareil pour l’eau, que plus une seule goûte de pluie ne soit gaspillée. Mais pour favoriser l’infiltration de l’eau dans le sol, ce dernier doit rester poreux, ce qui peut être assuré par les vers. Cependant, l’eau ne doit pas aller en profondeur, aussi faudra-t-il planter des haies et des arbres qui avec leurs racines permettront d’éviter le ruissellement et de retenir l’eau dans la couche arable. Les racines d’arbres permettront également de remonter les minéraux nécessaires au développement des plantes, ce qui évitera le recours aux engrais, alors que les haies constitueront un parfait abri contre le vent. En ce qui concerne les cultures elles-mêmes, pour assurer une bonne fertilisation azotée et protéger les plantes des maladies, des mauvaises herbes et des prédateurs, Marc Dufumier conseille de pratiquer les associations culturales des variétés locales, c’est à dire de planter des céréales avec des légumineuses ou en compagnie immédiate des arbres (comme ça se fait dans l’agroforesterie). Il recommande également la réconciliation de l’agriculture et de l’élevage, pratiquée surtout en circuit court, c’est à dire que la nourriture des animaux est produite sur place, tout comme le fumier pour nourrir les plantes. Je pense que dans une certaine mesure, une telle démarche, exemple d’ailleurs cité lors de la conférence, peut être observée sur la ferme de Pascal Poot qui a la réputation de faire pousser ses tomates sans eau et dans le Larzac. Une des dernières choses que j’ai retenues pour cette nouvelle agriculture, c’est le fait de ne pas labourer la terre pour ne pas libérer du carbone et surtout de payer les agriculteurs pour séquestrer ce même carbone dans le sol, mais cela anticipe déjà sur l’autre pendant de cette démarche : ses revendications politiques.

Revendications politiques énoncées par Marc Dufumier

Puisque les habitants du Sud ne peuvent soutenir la concurrence de cette agriculture occidentale, alors qu’ils doivent reconquérir leur souveraineté alimentaire, il est nécessaire qu’ils instaurent des droits de douane pour se protéger des excédents à bas coût en provenance du Nord, chose qui a été faite en Europe à la sortie de la seconde guerre vis à vis du blé américain. Il leur faut refuser les produits des États Unis, de l’Europe, du Brésil et de l’Argentine. À côté de cela, remettre en œuvre les pratiques agricoles connues depuis la nuit des temps et abandonnées depuis un siècle pourrait largement aider à enrayer l’exode rural, assurer un revenu décent aux agriculteurs et soigner notre cadre de vie. Marc Dufumier plaide aussi en faveur de la réorganisation des subventions accordées dans le cadre la Politique Agricole Commune de l’UE. Il propose de subventionner directement les écoles, collèges et lycées qui se fourniraient pour leur cantine auprès des producteurs bio. Il propose de subventionner ceux d’entre les agriculteurs qui ne labourent pas (ne libérant pas de carbone dans l’atmosphère) ou qui marient l’élevage et l’agriculture en circuit court, sans mentionner ceux qui refusent les pesticides et les engrais chimiques. Comme la faim dans le monde est une question politique, c’est par l’action politique que cette agroécologie se mettra en place. Et l’action politique c’est le fait d’agir, n’est-ce pas, politiquement. On peut le faire quand on a compris quelque chose, grâce à l’éducation, populaire dans ce cas, car cette fois c’est une Université inter-âge qui a donné la parole au chercheur agronome. Éducation populaire dont l’objectif est d’émanciper politiquement, mais c’est pour une prochaine fois…

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